Rêves d’Arcadie
Posted By Le Contrôleur on August 8, 2019
Le concept d’Arcadie est cher à Leiji Matsumoto. Ce n’est pas pour rien que les vaisseaux commandés par Albator (de même que les avions de ses ancêtres) ont pour nom Arcadia.
Dans l’Antiquité, l’Arcadie était une province montagneuse située au centre du Péloponnèse. Très liée au culte de Pan, dieu des bergers, c’était une région pastorale et peu urbanisée. L’Arcadie fut longtemps dominée par son puissant voisin, Sparte. Au cours du IVe siècle avant notre ère, Sparte se lança à l’assaut de la Béotie, une région située au nord. Mais le général thébain Épaminondas prit la tête des armées béotiennes et parvint à repousser l’envahisseur, forçant Sparte à se retirer vers le sud, relâchant par la même occasion son emprise sur l’Arcadie. Les communautés locales en profitèrent pour s’unir au sein de la Ligue Arcadienne afin de réclamer leur indépendance. Cette union fut favorisée par Épaminondas, qui fonda en 371 avant J.-C. une grande cité en Arcadie pour servir de siège à la Ligue. Le nom de cette cité ne pourra que faire réagir les fans de l’œuvre de Matsumoto, puisqu’il s’agit de Mégalopolis.

The Arcadian or Pastoral State (1836) par Thomas Cole
À la Renaissance, l’Arcadie devint un symbole utilisé par les artistes pour représenter un pays idéal, un paradis pastoral où l’homme serait en mesure de vivre en harmonie avec la nature. L’Arcadie s’oppose en cela à l’Utopie, qui serait au contraire le pinacle de la société humaine, la cité parfaite. En Arcadie, l’humain pourrait vivre sans être entaché par la corruption et la décadence inhérentes à la notion de civilisation, qui suggère le rejet de l’état de nature. Et pourtant, comme le rappelle la locution latine, Et in Arcadia ego : “j’existe aussi en Arcadie”, le “je” de cette phrase n’étant autre que la Mort. Nul pays, fut-il idéal, ne saurait affranchir les hommes de leur statut de simples mortels; on est tenté ici de dresser un parallèle avec Galaxy Express 999 et ses machinners ou hommes mécanisés en quête d’immortalité, n’apportant finalement que la souffrance dans l’univers. Trouver l’Arcadie, c’est aussi accepter que toute vie est par nature éphémère.
Matsumoto ne situe pas l’Arcadie en Grèce, mais en Allemagne : son pays idéal est celui aperçu dans le film de 1955 Marianne de ma Jeunesse, avec ses vallées, ses collines couvertes de forêts et ses lacs mystérieux noyés dans la brume. Les images conjurées par le film de Julien Duvivier, tourné à proximité du château d’Hohenschwangau en Bavière, ne sont pas sans évoquer les toiles des peintres romantiques. Le parallèle avec l’Arcadie n’est du reste pas du seul fait de Matsumoto : le film est adapté d’un roman de Peter de Mendelssohn titré justement Douloureuse Arcadie. Cette Arcadie, c’est celle de la jeunesse, si rapidement envolée et ne demeurant dans les cœurs que comme un souvenir à la fois cruel et enchanté… Évoquant là encore les thèmes de Galaxy Express 999.

MARIANNE DE MA JEUNESSE © 1954 TF1 International – Les éditions René Château – Transit films
Il est amusant de noter que Matsumoto a repris à son compte le nom d’Heiligenstadt, localité fictionnelle où se déroule Marianne de ma Jeunesse. Il en a fait la patrie ancestrale du clan Harlock, l’Arcadie à laquelle fait référence les noms des appareils pilotés par cette lignée. Le mangaka y fait référence comme s’il s’agissait d’un lieu bien réel, notamment en interview, et semble le confondre avec une autre Heiligenstadt, celle-ci bien réelle et située en Autriche, où Beethoven alla se ressourcer plusieurs mois en 1802. Comme nous l’évoquions dans cet autre article, une troisième Heiligenstadt existe, en Haute-Franconie, non loin de Bayreuth, où Wagner fit jouer ses fameux opéras…
L’Arcadie des Harlock est donc insaisissable, demeurant quelque part entre les rêves de Marianne et plusieurs emplacements possibles dans la réalité. C’est peut-être mieux ainsi…
(Note : cet article s’inspire en partie d’un texte que j’avais rédigé en 2017 pour la page Facebook du projet de film live Captain Harlock.)
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