Satire au six-coup
Posted By Le Contrôleur on July 21, 2016
Gun Frontier possède un ton très particulier, qui peut même choquer si on le prend au premier degré. En particulier, le manga semble en apparence fortement sexiste : les personnages féminins ne semblent pas avoir d’autre raison d’être que de satisfaire aux besoins de ces messieurs, qu’elles le veuillent ou non. Les personnages masculins, quant à eux, sont des brutes répétant à l’envie à quel point ils sont virils et “de vrais hommes”. Lorsque Tochirô, Harlock et Shinunora traversent une ville propre et pacifiste, celle-ci est promptement rasée par une horde d’indiens qui refusent de laisser vivre ce peuple de “femmelettes” ! Heureusement, Gun Frontier est avant tout une satire décalée des codes du western, et doit donc être lu comme tel.
Gun Frontier pousse donc le côté ultra-macho de la figure du cow-boy solitaire jusqu’au ridicule et la caricature, et on se rend rapidement compte que ces “vrais hommes” ne sont jamais rien d’autre que de grands gamins dotés d’armes à feu (dangereuse combinaison s’il en est). Comme pour mieux mettre en avant le caractère purement fantasmé de son western, Matsumoto se fend d’ailleurs d’un savoureux anachronisme : au sujet des talents de tireur d’un personnage, Tochirô s’exclame qu’il est “meilleur que John Wayne” ! Par ailleurs, pour tous leurs grands discours sur la virilité, Harlock et Tochirô ne sont pas franchement des modèles de bravoure : bien souvent, ils ne se précipitent par pour sauver la veuve et l’orphelin au péril de leurs vies et préfèrent rester cachés, laissant Shinunora jouer de ses charmes pour résoudre la situation.
Enfin, pour se convaincre du caractère très puéril des personnages masculins de Gun Frontier, il suffit de constater le nombre de discussions mentionnant la taille de leurs sexes respectifs !

Un autre aspect frappant dans Gun Frontier est le racisme dont ses protagonistes sont la cible. Partout où vont Harlock et Tochirô, ils sont en effet traités de “jaunes” ou de “singes” par les blancs. Ici Matsumoto met en scène les insultes anti-japonais employées par l’armée américaine durant la Seconde Guerre Mondiale, où les japonais étaient fréquemment comparés à des primates ou des animaux. Matsumoto épingle également les femmes japonaises qui veulent à tout prix avoir l’air blanches, quitte à renier leur ascendance.
La religion n’est pas non plus épargnée : dans une scène, Tochirô demande pardon à son cheval qu’il s’apprête à tuer afin de le manger. Il explique que la vie des animaux vaut moins que celle des hommes, avant de faire le parallèle avec les propos tenus par l’officier de cavalerie ayant ordonné le massacre les habitants de Yellow Creek : “les blancs sont plus importants que les jaunes, et Dieu leur a confié le devoir de dominer le monde en tant que race supérieure”. Ces paroles font écho au concept de “Destinée Manifeste”, l’idéologie selon laquelle la nation américaine avait pour mission divine de répandre la démocratie et la civilisation vers l’Ouest, et qui continue encore à ce jour d’influencer le comportement des États-Unis sur le plan géopolitique.
Il faut noter que quelques années auparavant, en 1967, Matsumoto avait réalisé l’adaptation en manga du western spaghetti Les cinq de la vendetta d’Aldo Florio (également connu sous le titre international The Five Giants from Texas et sorti au Japon sous le titre Go-biki no Yôjinbô). Ce film italien est souvent considéré comme particulièrement sordide et violent, avec des scènes de torture, de sadisme, de viol, sans oublier un certain racisme anti-mexicain. Il est probable que Gun Frontier soit, au moins en partie, une parodie du type de western décadent incarné par ce film.
© 1967 Leiji MATSUMOTO / TOWA
Comments