La nébuleuse question des droits de Yamato
Posted By Le Contrôleur on May 22, 2016
La saga Yamato a récemment fait l’objet d’un remake animé sous le titre Uchû Senkan Yamato 2199. Un remake au demeurant très réussi, qui a remis le cuirassé de l’espace sur le devant de la scène de fort belle manière, mais dont Leiji Matsumoto a été tenu à l’écart. Il faut dire que la question de la paternité de Yamato a toujours été un sujet compliqué, étant revendiquée à la fois par Matsumoto et par Yoshinobu Nishizaki, le producteur de la série originale, dont le fils est aux commandes de Yamato 2199. Comme souvent dans ces cas-là, chacun a un peu raison. Nishizaki était à l’origine du pitch de la série, et c’est à lui que l’on doit l’idée de nommer le vaisseau “Yamato” (après avoir un temps envisagé le nom “Icarus”), et d’appeler “Iskandar” la lointaine planète vers laquelle il se dirige. Mais ce sont à peu près les seuls points communs avec la série telle qu’on la connaît (voir les détails sur CosmoDNA).
Lorsque Matsumoto rejoint le projet pour prendre en charge la direction créative, il va profondément le remanier. Comme le vaisseau se nomme Yamato, il suggère de baser le vaisseau spatial sur le cuirassé du même nom coulé pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est également lui qui va proposer l’apparence et même les noms des membres d’équipage, et l’idée que le Yamato doit atteindre Iskandar pour sauver la Terre des radiations en récupérant le Cosmo Cleaner D des mains de Starsha (elle aussi une création de Matsumoto). Sans oublier moult détails : le nom Garmillas pour les ennemis, le concept du canon à ondulation… Matsumoto se dispute également fréquemment avec Nishizaki sur des questions de fond : Nishizaki a tendance à vouloir insuffler à l’œuvre des relents militaristes et guerriers qui déplaisent fortement à Matsumoto, tout comme la tendance du producteur à vouloir tuer les héros de la série !
COSMOSHIP YAMATO © 1975 Leiji MATSUMOTO / Akita Publishing
La brouille est consommée à la fin des années quatre-vingt. Matsumoto participe bien aux premières réunions de travail des futures OAV Yamato 2520 [*], mais il ne s’impliquera pas dans la création de cet anime qui connaîtra une gestation difficile. En 1997, la société de Nishizaki, West Cape Co. Ltd., dépose le bilan, ruinée par la production de Yamato 2520. Dans la foulée, Nishizaki est arrêté pour possession de drogue. Après deux ans et huit mois de prison, il est à nouveau condamné pour possession illégale d’armes à feu [*]. Nishizaki semble donc écarté de Yamato, au moins jusqu’à sa libération.
Pour financer Yamato 2520, West Cape avait cédé certains droits sur Yamato à Bandai Visual. Après l’incarcération de Nishizaki en 1999, Bandai Visual se rapproche de Leiji Matsumoto pour produire des adaptations de Yamato en jeu vidéo. Le courant passe, et Matsumoto récupère les droits de la franchise à la fin des années quatre-vingt-dix… du moins, c’est ce qu’il pense à l’époque. Matsumoto souhaite relancer Yamato à sa façon, et commence à faire apparaître le cuirassé de l’espace dans ses œuvres, notamment son deuxième cycle de Galaxy Express 999. Il attaque également la réalisation de Great Yamato, une nouvelle saga mettant en scène les descendants de l’équipage original, affrontant les Métanoïdes dans un lointain futur.
GREAT YAMATO © 2013 Leiji MATSUMOTO / Shogakukan Inc.
Mais même incarcéré, Nishizaki n’a pas dit son dernier mot. Il attaque Matsumoto en justice pour violation de copyright; en mars 2002, le tribunal de Tôkyô lui donne raison et le déclare auteur légitime de l’œuvre. Matsumoto fait évidemment appel, et l’affaire se règle finalement en coulisses [*] : Nishizaki garde les droits sur la marque Yamato, et peut produire des suites de son cru à condition de ne pas utiliser les designs de Matsumoto. De son côté Matsumoto conserve la possibilité de faire apparaître les éléments de sa conception (comme le vaisseau, le Cosmo Cleaner D, ou Starsha) dans ses propres histoires. Tout le monde sort donc gagnant de cet arrangement. L’adaptation animée de Great Yamato est renommée Great Galaxy puis Dai-Yamato Zero-gô, avec un vaisseau redessiné, de tout nouveaux personnages, et une intrigue sans aucun lien avec la saga d’origine. Nishizaki pendant ce temps pilote depuis sa cellule la réalisation d’un nouveau film, Yamato Rebirth, qu’il essayait déjà de monter du temps de West Cape.
Le feuilleton juridique n’est toutefois pas terminé, car entre alors en scène la Tohokushinsha Film Corporation, qui se déclare seule propriétaire d’Uchû Senkan Yamato et se dit “perplexe” de voir Matsumoto et Nishizaki se disputer des droits qui, selon elle, ne leur ont en fait jamais appartenu [*]. Le Yamato est donc de retour au tribunal, une procédure qui sonnera le glas du projet Dai-Yamato Zero-gô [*]. Fin 2008, la Tohokushinsha est fermement aux commandes du Yamato; Nishizaki, entretemps sorti de prison, parvient à les convaincre de relancer (encore une fois) son projet Rebirth. Le film sortira finalement en 2009 sous le titre Uchû Senkan Yamato: Fukkatsu Hen, avec des personnages redessinés par Tomonori Kogawa. Nishizaki décèdera en novembre 2010 dans un accident de bateau (ironiquement nommé Yamato), peu avant l’arrivée au cinéma d’un autre projet qui lui tenait à cœur : le film live des aventures du cuirassé de l’espace (sorti en France sous le titre Space Battleship : L’Ultime Espoir).
© 2010 SPACE BATTLESHIP YAMATO Production Committee
Leiji Matsumoto quant à lui recentre ses efforts sur un autre cuirassé de l’espace : le Mahoroba, créé dans un manga de 1998, puis réapparu dans Great Yamato et dans Dai-Yamato Zero-gô. Avec le film Cosmo Super Dreadnought Mahoroba, annoncé en 2011, il entend donc imposer son propre successeur spirituel à Yamato. Mais le projet Cosmo Super Dreadnought Mahoroba n’a à ce jour toujours pas décollé. On parle de manque de fonds, de l’inexpérience du producteur qui n’a pas les contacts nécessaires dans le milieu de l’animation… Mais il se dit également que les ayants-droits de Yamato ont fait pression pour tuer le projet dans l’œuf, afin d’éliminer une concurrence potentielle à Yamato 2199. Mieux vaut toutefois prendre cette dernière rumeur avec des pincettes.
Si toutes les cartes semblent désormais dans les mains de la Tohokushinsha, un flou juridique continue de hanter la franchise Yamato. La preuve : Yamato 2199 a bien du mal à franchir les frontières de l’archipel nippon : la sortie de la série aux Etats-Unis (sous le titre Star Blazers 2199) semble interrompue depuis 2014, sans réelle explication, et d’après l’éditeur Black Box, intéressé pour sortir la série en France, il s’agit d’une licence “assez compliquée, d’où son absence partout dans la monde”[*]…
Pour finir sur une note d’espoir : tout comme le Mahoroba, le Great Yamato (stylisé “G Yamato”) apparaît dans les romans Galaxy Express 999 Ultimate Journey et dans le manga Capitaine Albator ~ Dimension Voyage, ainsi que son capitaine Susumu Kodai (supposément le même personnage que dans Great Yamato, c’est-à-dire le 32e descendant du Kodai d’Uchû Senkan Yamato). Avec une petite différence toutefois comparé au manga Great Yamato : un autre kanji est utilisé pour écrire son prénom (将 au lieu de 進), probablement autant pour différencier l’original de son descendant que pour éviter d’éventuels nouveaux problèmes de droits avec la Tohokushinsha…
CAPTAIN HARLOCK JIGEN KOKAI © 2015 Leiji MATSUMOTO / Kouiti SHIMABOSHI / Akita Publishing
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